Eric Anderson : La technique au service de l’art

Métiers| |écrit par Anouk|

Vous le savez, nous adorons mettre en lumière les partenaires avec lesquels nous travaillons. C’est pourquoi, nous avons demandé à Eric Anderson de nous parler de lui et de ses deux activités: ingénieur du son et producteur de musique. Rencontre avec un passionné qui nous plonge dans l’univers fascinant du son, dans lequel art et technique s’entremêlent et se nourrissent l’un·e de l’autre. De Madagascar à Shanghai, découvrez le parcours inspirant d’un professionnel, amoureux de ses métiers.

 

Qu’est-ce qui te fait vibrer dans ton métier?

 

C’est un métier de rencontres, d’échanges et de création avant tout, j’aime découvrir les univers des nouveaux projets qui me tombent dans les mains. Si on a un minimum de sensibilité artistique, on en apprend tellement sur la personnalité d’une personne en observant ou en écoutant ce qu’elle a crée. On travaille très souvent dans l’imaginatif, l’impalpable et j’aime observer cette faculté de transmettre de l’émotion par le choix des atmosphères, de l’énergie, en se basant sur un vécu, des inspirations, un caractère.

Même si une grande partie de mon métier consiste à organiser, ranger, nettoyer et coordonner toutes ces idées, cela me fait vibrer toutes ces étapes dans lesquelles, grâce à une immense palette d’outils, on va mélanger à la fois l’artistique et la technique pour arriver du point A au point B.

 

 

Par quel chemin y es-tu arrivé et d’où te vient cette passion pour le son et la musique?

 

J’ai un métier à la fois technique et artistique, je vais donc devoir séparer les deux. Pour l’artistique, il faut savoir que je suis le mouton noir de la famille: absolument personne de ma famille ne travaille dans un domaine artistique. Mais aussi loin que remontent mes souvenirs, mes parents écoutaient beaucoup de musique, essentiellement de la pop et du rock, en format CD du côté de ma mère, de la musique classique et de la variété française, en format vinyle du côté de mon père. La maison n’était donc jamais silencieuse.

Puis un jour, on m’offre un logiciel créatif de création musicale qui s’appelait «Ejay». Pour expliquer simplement son fonctionnement, ce logiciel proposait un ensemble de boucles mélodiques et rythmiques que l’on déposait sur une ligne temporelle. Et qu’importe le choix et l’ordre de ces boucles, cela construisait à la fin une musique sans fausses notes et sans erreurs rythmiques.

« Je commençais à mettre de côté tous les autres divertissements possibles d’un jeune adolescent, jeux vidéos, livres, etc. J’étais obnubilé par cette grille musicale infinie et par cette nouvelle capacité de figer mon humeur du jour grâce à des mélodies et des instruments virtuels. »

Mais j’étais limité dans le créatif, car je ne pouvais pas créer de nouvelles boucles musicales, seulement utiliser celles proposées par ce logiciel. Peu de temps après, un ami me donne une disquette (oui, oui une disquette!) sur laquelle se trouvait un autre logiciel de création musicale: «Fruityloops», connu aujourd’hui sous le nom de «FL Studio». Or, sur celui-ci, je pouvais absolument tout créer, tout composer, et je n’avais aucune limite de conception. Je crois que j’ai été mordu à ce moment, quand je me suis dit que la création était infinie, sans limites, sans barrière! Un peu comme mon imagination à cette époque.

La technique, quant à elle, est arrivée quelques années plus tard. Je faisais donc de la musique avec les copains régulièrement (dont celui qui m’avait donné cette fameuse disquette), et un jour, on décide d’enregistrer nos voix sur un morceau de musique. Mais pour y arriver, pas le choix selon nous: il faut aller dans un studio d’enregistrement.

Je vivais à l’époque à Madagascar, et à la fin des années 90’, sur cette petite île loin de tout, les studios de musique n’étaient pas courants. Mais mon ami entend parler de «Nada Studio», on prend contact et nous voici deux jours plus tard devant cette toute petite maison de trois étages, avec un angle d’inclinaison plus prononcé que la tour de Pise, et dont la surface au sol ne doit pas dépasser la superficie d’une piscine à boules.

J’arrive dans ce tout petit local, caché dans les combles, dans lequel on ne pouvait même pas se tenir debout, et me voilà pris d’une nouvelle fascination! Toutes ces machines autour de moi, ces boutons de toutes les formes, ces couleurs qui clignotent constamment, et je vois de mes yeux, les courbes numériques de la voix de mon ami prendre forme grâce à un micro, ce que j’entends, je le vois se dessiner sur l’écran! Je crois que j’ai passé plus de temps à poser des questions à l’ingénieur du son qu’à enregistrer ce pour quoi on était venu. «À quoi sert ce câble? Pourquoi là, c’est orange? Pourquoi maintenant c’est vert? Et si j’appuie là-dessus, sur le gros bouton rouge, il se passe quoi?».

Je me rends donc compte que, non seulement l’aspect créatif de la musique est sans limites, mais que, grâce à des machines, des appareils physiques, celui du son l’est aussi. Et si on combine les deux, il se passe quoi? Voilà… j’ai été piqué et cette addiction dure depuis plus de 20 ans maintenant.

Quelles qualités faut-il posséder pour faire ce métier?

Je pense qu’il faut en avoir plusieurs tout au long du processus, de l’idée du projet jusqu’à sa conclusion. Avant tout, avoir un bon relationnel humain, entretenir et agrandir son réseau, c’est vital : beaucoup de projets commence d’abord par une bonne entente, une rencontre. La technique et l’artistique discutent d’abord avant de commencer à travailler sur un projet commun, il faut être à l’aise avec la discussion, la communication. Une fois que le projet démarre il faut avoir une bonne gestion du stress, il y a toujours des deadlines, des dates de rendu à respecter, des engagements à tenir. On travaille souvent en équipe, on fait partie d’une chaîne, et nous, ingénieurs du son, ne sommes qu’un maillon de la chaîne, on peut subir le retard des autres maillons, mais d’un autre côté, si tout se passe bien, il ne faut pas retarder ceux qui suivent.

 

« Pour y arriver, il faut une bonne organisation, être clair, ordonné et méticuleux, d’ailleurs les ingénieurs du son ont souvent des tocs de rangement, d’alignement, de symétrie… moi le premier. »

 

Lors du rendu, il faut se dire que travailler le son c’est comme l’artisanat, cela reste un travail manuel, délicat et répétitif, il faut avoir le souci du détail, s’imposer une rigueur de travail quotidienne. Le projet terminé, on a vite des retours, des «Feedbacks», des «inputs», on a rarement des remerciements, et quand c’est le cas c’est très souvent suivi du fameux «mais» ! Il faut donc accepter d’entendre ce qui arrive après. Posséder la qualité de savoir se remettre en question est ainsi clairement un avantage quand c’est justifié. Accepter que son travail ne soit pas parfait (le parfait est pour moi complètement utopique dans l’artistique), gérer sa susceptibilité, accepter la critique constructive, ce n’est pas évident, et pourtant, c’est essentiel.

Pour terminer, je dirais qu’il faut aussi être curieux (oui pour moi la curiosité est une qualité quand elle est liée à la connaissance et le savoir dans notre travail). On travaille dans une industrie professionnelle concurrentielle, en constante évolution: tout va très vite avec le numérique, l’IA, les réseaux, la surconsommation de l’art, l’accès à l’information et la technique. Il faut donc accepter d’être régulièrement en apprentissage, être à jour sur ce qui a été fait, se fait et va se faire. J’essaie d’améliorer constamment ce que je pense avoir acquis techniquement, je lis des articles, me balade sur les forums, je m’abonne à des newsletters, regarde des vidéos YouTube, m’inscris à des formations, écoute le dernier album de tel artiste, regarde la dernière série ou le dernier film top tendance, prends un pass de festival et fais le tour des scènes.

 

Quel projet as-tu particulièrement apprécié?

Alors je suis ingénieur du son mais aussi producteur de musique et j’ai un super souvenir d’une collaboration avec une artiste suisse. Nous nous sommes rencontrés en 2018 et nous avons commencé à collaborer artistiquement peu de temps après. Le projet de cette artiste prenait à l’époque la forme d’un EP –format d’un mini album faisant le pont entre 2 albums – et il comportait des titres dont j’étais le compositeur. L’EP est né très vite, on a travaillé dans une excellente alchimie, une collaboration saine, rapide et efficace.

Le projet a ensuite grandi et a fait son chemin, petit à petit. Un EP et un nouvel album 4 ans plus tard, cette artiste était en pleine tournée et se produisant notamment sur la grande scène du Paléo (j’affectionne tout particulièrement ce festival). C’est très particulier de ressentir cette nouvelle émotion, celle d’entendre ses propres compositions sur la grande scène d’un des plus grands festivals open air de Suisse devant tout ce monde. Je me suis mis à revoir tout le chemin parcouru, point de départ dans ce petit studio à Madagascar dans lequel on ne tenait pas debout, à ce moment précis, celui où plus de 35’000 personnes entendent quelques-unes de mes productions. Moment éphémère, mais souvenir impérissable, c’était très émouvant.

 

J’ai aimé travailler sur tous mes projets, même les plus éreintants. Je suis très attaché aux «premières fois», le mixage du premier long-métrage, le premier award récompensant sa production, le premier concert en tant qu’artiste, le premier festival en tant que mixeur, le premier jeu vidéo en tant que sound designer, la première tournée à l’autre bout du monde en tant qu’ingénieur du son. On en apprend plus sur soi, ses limites, ses connaissances, on en sort grandi à chaque fois.

Raconte-nous une anecdote liée à ton métier !

J’en ai tellement… la musique, les concerts, le cinéma, tout un lot de surprises. Mais dans l’immédiat, je pense à la dernière en date qui m’est arrivée lorsque j’étais en Chine en 2023, une anecdote technique.

J’étais en pleine tournée avec un groupe de musique suisse en tant qu’ingénieur du son, je mixais le son du groupe en live pour le public. Notre planning était serré et nous devions faire plusieurs dates de concert dans plusieurs villes en train et en avion, nous avions essayé d’alléger au maximum notre matériel au départ de Genève. De ce fait, tous les câbles numériques nécessaires au bon fonctionnement de la technique seraient loués sur place. Ce sont des câbles particuliers, mais communs dans l’industrie. Pour simplifier mon explication, j’ai besoin de deux câbles de 80 mètres de long (la longueur est importante) entre la scène sur laquelle se produisent les artistes et ma régie où se trouve toute la technique et mon poste de travail. Or, 80 mètres de câble numérique c’est lourd (dans les 30kg la paire) et encombrant, nous nous étions donc mis d’accord avec l’équipe chinoise qui nous accueillait pour qu’elle nous fournisse ces câbles à notre arrivée, tout le reste était avec nous.

Nous sommes donc à Shanghai dans un hangar qui peut accueillir 10’000 personnes… donc petite pression pour une première date dans un pays à l’autre bout du monde avec 6 heures de jet lag. Les Chinois ne bossent pas comme en Europe, ils font notamment les balances et l’installation technique la veille du concert (à l’inverse, ici, nous le faisons le jour même) donc on s’adapte. Mais je me rends compte qu’il manque un câble numérique sur les deux demandés au départ de Genève.…

L’accueil technique s’excuse de cet oubli et m’assure que le lendemain matin, jour du concert, le deuxième câble sera là à la première heure. Je fais donc confiance et peux déjà faire la moitié de mon travail en attendant ce deuxième câble. La nuit passe, nous avons rendez-vous à 13h00, mais j’ai un pressentiment et je décide de me rendre sur place à 10h00 pour vérifier si ce fameux câble est bien sur place.

J’arrive dans ma régie technique, j’observe de loin un deuxième câble branché, mais je suis à moitié rassuré car je ne vois pas le chemin que fait ce câble entre ma régie technique et la scène. Je tire dessus et je me rends compte qu’au lieu d’un câble de 80 mètres, celui-ci n’en fait que cinq… I’incompréhension totale ! J’ai un coup de chaud qui me monte à la tête en 2 secondes, à quelques heures de l’ouverture des portes au public. C’est simple, si je n’ai pas ce deuxième câble, pas de concert possible!

J’appelle de suite une personne de l’équipe chinoise qui nous accueille et demande des explications. Cette même personne réunit donc tout son staff et pique une crise de colère sur cinquante bonshommes. Je suis gêné de cette situation : premier jour en Chine, première date, et déjà un début d’ambiance pas très agréable ! J’essaie donc de calmer la situation et de réfléchir à un plan B mais cette personne m’assure qu’il existe une solution. Elle me demande de m’assoir, elle prend son téléphone, tapote quelques secondes dessus, le verrouille ensuite, s’allume une cigarette et me dit qu’une solution a été trouvée.

 

« Je suis en pleine interrogation ! «How ?!», elle me dit de patienter et à peine a-t-elle eu le temps de terminer sa cigarette qu’un homme en scooter, en claquettes, le casque à moitié attaché et cigarette au bec entre dans le hangar : entre ses fines jambes, un rouleau de câble numérique de 80 mètres tout neuf, encore emballé sous cellophane! »

 

Le concert est sauvé, le câble fonctionne, tout est rentré dans l’ordre. On m’explique ensuite qu’en Chine, il y a un service express d’expédition et de livraison, vous pouvez commander absolument tout ce que vous voulez et le produit est livré sous quelques heures partout en Chine. J’ai donc vite compris à ce moment, comment l’Empire chinois est ce qu’il est aujourd’hui : le business y tourne 24h sur 24, 7 jours sur 7. Ce problème me serait arrivé à Morges, un dimanche midi pendant les vacances scolaires, les évènements auraient pris une autre tournure…!

 

Pourquoi nous aimons collaborer avec Eric ?

Son expérience dans le domaine mais aussi ses compétences en composition musicale font d’Eric un partenaire précieux. Nous avons apprécié son professionnalisme et son état d’esprit, orienté vers la recherche de solutions et toujours ouvert à des améliorations!

Pour en savoir plus sur Eric Anderson,
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